Entretiens réalisés pour le CERVIN par Jean-Claude Hinnewinkel entre 2018 et 2023 (car interrompus par le Covid) avec Michel Boyer, une des fortes personnalités de l’appellation Loupiac en Sud-Gironde
Cervin : Comment êtes-vous devenu vigneron à Loupiac , en Côtes de Bordeaux?
Michel Boyer : je suis un peu bordelais, un peu d’origine corrézienne par ma mère.
Mon grand-père est arrivé à Bordeaux dans les années 1850, à l’époque où Bordeaux connaissait une grande prospérité industrielle avec les fabriques de bouteilles, celles de céramiques ou de faïences… Pour faire marcher ces usines, on n’utilisait pas encore le pétrole mais la vapeur et il fallait des entreprises qui fabriquent des chaudières. Beaucoup de Corréziens pour travailler dans le monde du vin. Les Moueix sont des Corréziens, les Janoueix aussi… Eux ont été attirés par le commerce. Mon grand-père, François Thévenot, est arrivé de Corrèze attiré par l’industrie. Il construisait des ouvrages en charpentes métalliques. On doit notamment à la famille Boyer la construction métallique type «Eiffel» de la gare de Bordeaux. C’est un phénomène immuable les habitants des régions pauvres sont attirés par les régions riches, ont toujours attiré les habitants des pays pauvres. On le voit très bien aujourd’hui, les pays riches ont toujours attiré les habitants des pays pauvres.
J’ai cependant toujours appartenu à une famille dans le milieu viticole, je suis né à Portets il y a 90 ans, au château Beausite à Portets. François Thévenot avait rencontré Adrienne Larousse qui était originaire de Bordeaux et dont la famille possédait une maison de campagne à Loupiac où le propriétaire du château du Cros, le comte de la Chassaigne n’avait pas su anticiper le développement des céréales dans la Beauce qui allait faire baisser le prix du blé cultivé sur le plateau du Château du Cros de façon importante. Il n’avait pas non plus pensé que le départ des hommes à la guerre allait rendre difficile la culture de la vigne à la main sur le coteau. Il se trouvait donc en difficultés financières et fut contraint de vendre.
Amoureux de ces terres, François Thévenot a ainsi l’idée d’acquérir le Château du Cros en 1917. François Thévenot était entrepreneur de travaux publics et il n’hésita pas à arracher le reste du vignoble existant sur le coteau et à replanter les vignes sur le plateau. Cette replantation fut réalisée entre 1920 et 1940. Cet ancien vignoble existe toujours et produit les meilleurs vins du Château du Cros avec des vignes presque centenaires
Yvonne, la fille de François Thévenot rencontre Georges Boyer et ainsi je suis né dans un château viticole. Après avoir combattu durant les 2 guerres, fait prisonnier en Allemagne et libéré en 1943, Georges Boyer revient au Château du Cros. Il s’est alors occupé de la propriété qu’il a acquise suite aux problèmes financiers de son beau-père François Thévenot.
Je suis donc arrivé au château du Cros j’avais 3 ans. J’ai passé ma jeunesse à Loupiac et je me suis formé à l’école d’ingénieur agricole d’Angers de 1954 à 1958. Je me suis marié avec Françoise Moulière en 1958. Françoise état issue d’une famille Bretonne de pêcherie de sardines à Douarnenez. Après avoir participé aux opérations de maintien de l’ordre en Algérie dans la marine, en 1960 je rentre au Cros. Je laisse à mon père Georges le soin de s’occuper du vignoble et débute une activité d’exploitation de vergers le long de la Garonne : pêches, poiriers puis pommiers, kiwis et cerises successivement. De 1965 à 1981 j’ai exploité 15 ha de pêchers et 15 ha de poiriers puis, de 1981 à 2006 je les ai remplacés par des pommiers.
Château du Cros au début du 20e siècle
En 1967, mon père décède et je reprends les vignobles, entreprend des travaux de replantations sur le plateau et achète d’autres vignobles pour diversifier l’offre du Château du Cros. A cette époque, il devait y avoir 27 hectares de vignes blanches pour la production de vins liquoreux sur le plateau que dominent toujours les ruines du vieux château Du Cros. L’exploitation était exclusivement viticole. Il y avait alors très peu de vignes rouges, juste pour la consommation personnelle, surtout dans la plaine où régnaient les fameux hybrides. Sur le coteau il n’y avait pas de vignes, il y en avait eu – les vieilles photos sont avec de la vigne sur le coteau - mais il n’y en avait déjà plus et c’est moi qui aie commencé à y mettre du rouge.
Château Du Cros dominant les vergers
Quand j’ai passé la main à ma fille en 2004, l’exploitation s’était diversifiée. Il y avait toujours la vigne blanche dont la superficie avait été accrue et atteignait 45 hectares sur le plateau et sur le coteau où j’ai replanté. Il devait en plus y avoir 5 ou 6 hectares de vignes rouges, à l’époque c’était du bordeaux, maintenant c’est devenu du Cadillac-Côtes de Bordeaux. J’avais aussi acheté les propriétés de Barsac et Cérons. La propriété de Cérons a été vendue en 2000 à Sigana de Sainte-Croix-du-Mont. Cela faisait un peu trop important pour ma fille à tout gérer. A Cérons on a toujours le château Haut Mayne, en rouge et en blanc sur le plateau. Enfin le vignoble de Château Courbon à Toulenne que j’exploite depuis 1994 a été acheté à la famille Sanders, propriétaire à l’époque du Château Haut Bailly en Pessac–Léognan. En 2000 j’exploitais 95 hectares de vignes.
En 2004, quand ma fille prend la direction des vignobles, elle donne une dimension internationale au Château du Cros. Elle insuffle une nouvelle dynamique avec le développement de l’œnotourisme et les accords mets vins. En 2006, elle arrête les vergers e diminue un peu la superficie viticole car elle exploite ce qu’elle sait vendre, elle doit être à 75 hectares. On a toujours Cérons et Toulenne. Elle a laissé la vente des vins en vrac et se consacre à la vente en bouteilles. Elle a également abandonné les cultures fruitières et sur les terres ainsi libérées je supervise la culture de 30 hectares de maïs non irrigués car ils n’en ont pas eu besoin jusqu’à maintenant.
Le château Ducros aujourd'hui, au 1er plan, les champs de maïs ont remplacé les arbres fruitiers
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